samedi 9 mai 2009

"Mamie Bénin"




Dans le guide Lonely Planet, il est fait mention des Mama Benz qui contrôlent les marchés publics de Cotonou et Lomé. Ces femmes sont riches comme Crésus et détiennent une mainmise sur le commerce de détail dans ces deux villes. Réputées pour être très dures en affaire, elles embauchent surtout des femmes payées à ce qu’on appellerait au Québec le salaire minimum… Durant la crise économique du début des années 90, ce sont elles qui ont soutenu une bonne partie de l’économie et porté leur pays à bout de bras. On peut d'ailleurs facilement les reconnaitre à leurs tenues toujours très chics ainsi et bien entendu, à leur marque de voiture favorite, vous l’aurez deviné: Mercedes Benz... !

Quand j'ai dit à « Mamie Bénin », la meilleure amie de la famille Adjahi et qui doit son surnom à tous les enfants, que j’aimerais bien faire une interview avec une Mama Benz, elle m'a répondu du tac-au-tac sur un ton qui en disait long ; «Attention, je ne suis pas une Mama Benz! Je ne suis qu’une petite commerçante qui se sort relativement bien d’affaire, c'est tout! ». Reste que Mamie Bénin possède tout de même le dernier modèle ML350... ! C’est donc sur cette note que nous avons quitter ensemble sa résidence et que je me suis offert pour l'accompagner à son travail. Mais d'abord, il lui fallait faire un premier arrêt à la banque. Elle y a un rendez-vous pour négocier le taux de change des Euros dont elle aura besoin lors de son prochain voyage en Italie, où elle va régulièrement s’approvisionner pour sa bijouterie. D'ailleurs, Mamie Bénin ne traite que dans l’or et sa réputation ne se limite pas seulement au Bénin, mais s'étend aussi loin qu'au Togo et au Niger. De plus, sa collection qui vient directement d'Europe, est reconnue pour être de grande qualité et toujours très tendance.

Mamie Bénin est née à Cotonou et a grandi en ville, ce qui lui a permis d’avoir une vision plus cosmopolite et moins ancrée dans les valeurs rurales traditionnelles. Sa mère était une petite commerçante en ville et c’est de cette dernière qu’elle tire une partie de son expérience en affaire. L’école pour Mamie Bénin ne fut pas une très longue histoire, car sa mère n’avait pas beaucoup de moyen (l’école étant payante dans la plupart des pays d’Afrique). Elle est tout de même parvenue à trouver un emploi aux services postaux nationaux, qui lui a permis d’économiser de l’argent, de se constituer un capital de départ et de démarrer, d’abord à très petite échelle, un commerce de vente de bijoux, sa passion.

Pour Mamie Bénin, avec à l’époque cinq enfants, juste des filles, que les circonstances de la vie l’ont poussée à élever en partie seule, la fin devait justifier les moyens. C’est donc sans relâche et avec ténacité qu’elle s’est investie dans son commerce et que même lorsqu’elle travaillait comme fonctionnaire, revêtait régulièrement son « chapeau » de vendeuse. Que se soit avec ses collègues de travail, ses amies, sa famille ou au marché où elle a maintenant un stand qui fait l’envie de plusieurs, ce commerce était toute sa vie. Son commerce ayant pris son envol, elle a pu amasser assez d’argent pour voyager vers l’Europe, et trouver des bijoux qu’elle seule pouvait offrir en exclusivité à Cotonou, ce qui fut la clé de son succès.

Dans la voiture (conduite par un chauffeur, bien entendu!), elle me demande ce que je fais dans la vie. Je lui parle de mon passé en finance et étonnée, elle me demande pourquoi j’ai quitté une si bonne position. Je lui explique mes raisons et elle comprend, mais trouve cela assez particulier. Je dois dire que c’est la réaction de la plupart des gens avec qui j’ai eu l’occasion d'en discuter. Nous parlons finances, plus particulièrement du prix de l’or qui ne cesse de monter et rend son commerce plus difficile. Les acheteurs, habitués à des prix plus bas, limitent leurs achats. Je lui donne mon opinion sur la fluctuation de l’or à savoir que si l’économie entre en mode inflationniste, l’or devrait logiquement continuer de monter. Comme vous vous en doutez, cette théorie ne lui plait pas du tout. Je lui explique alors qu’elle a tout simplement à augmenter son inventaire maintenant et que si les prix montent beaucoup, elle pourra à ce moment, dans six mois ou un an, vendre avec un plus gros profit. Elle me regarde d’un air perplexe et je sens alors, que l’idée chemine dans sa tête… Je lui signifie que l’envers de la médaille est aussi vrai: si l’or baisse, elle devrait faire l’inverse, c'est-à-dire réduire son inventaire et acheter un nouveau stock à plus bas prix. « Mais que faire? » Me demande-t-elle. Si je le savais… C’est là tout le mystère de la finance et de la spéculation, et ce pourquoi les intervenants des marchés en capitaux prennent parfois tant de risques…


Édition: Isabelle Adjahi

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